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LE POINT SUR

PÊCHÉ ANTIGÉNIQUE ORIGINEL – UN VIEUX CONCEPT QUI RESTE D’ACTUALITÉ

L’apparition rapide de mutants préoccupants (VOC) du virus SARS CoV-2 au cours de la pandémie actuelle de COVID19 nous a replongés au cœur de la problématique de la protection croisée.
un article rédigé par Jean-Daniel LELIEVRE 24/01/2023
Aucunes données associées

Jean-Daniel Lelièvre, Vaccine Research Institute –Inserm IMRB – CHU Henri Mondor (Créteil)

- Public cible : immunologistes
  • Temps de lecture : 10 minutes
  • Relecture de l'article : Pr Sophie CANDON (Rouen), Thierry VINCENT (Montpellier), Sylvain DUBUCQUOI (Lille)
  • Actualisé le 14/02/23

PROTECTION CROISÉE

La protection humorale contre les virus repose d’une part sur la production d’anticorps par les plasmocytes qui ne sont plus à même de modifier leur récepteur B à l’antigène (BCR), et d’autre part les lymphocytes B mémoire qui gardent une plasticité et vont acquérir au cours du temps des BCR plus affins permettant ainsi de produire des anticorps actifs contre des souches virales proches. Ainsi, au cours de la COVID19, la maturation de la réponse humorale post-infection, ou après répétition de rappels vaccinaux, permet d’acquérir une réponse anticorps contre les nouveaux variants viraux VOC (Variant of Concern) alors même que l’organisme n’a jamais été en contact avec ces souches virales (1). Cette capacité est d’ailleurs vue comme une des finalités de la réponse immunitaire adaptative permettant à l’organisme de s’affranchir d’une nouvelle réponse de novo à chaque réinfection par des pathogènes génétiquement proches.

EMPREINTE IMMUNOLOGIQUE – L’EXEMPLE DE LA GRIPPE

Le premier contact avec un agent pathogène induit une empreinte immunologique nette qui peut persister toute la vie. C’est le cas notamment du virus de la grippe qui infecte l’Homme dans la petite enfance. En 2016, Gostic et al (2) ont analysé l’impact de cette empreinte immunologique sur la survenue ultérieure d’une grippe sévère consécutive à une infection par un virus aviaire A/H5N1 ou A/H7N9. Lors des différentes épidémies survenues depuis 1977, le virus A/H5N1 a affecté essentiellement les enfants alors que le virus A/H7N9 touchait préférentiellement les adultes. L’année de naissance clef départageant les populations cibles privilégiées de l’un ou l’autre virus semblant être l’année 1968. Cette année correspond en fait à l’émergence d'un nouveau virus de la grippe dans les populations humaines avec un déplacement des antigènes circulants de l'hémagglutinine (HA) du groupe 1 au groupe 2. Les personnes nées avant 1968, ayant possiblement été infectées dans l’enfance par un virus du groupe 1, semblent protégées contre les virus du même groupe, y compris le virus A/H5N1. À l'inverse, les personnes nées après 1968 ont, elles, rencontré dans leur enfance des virus du groupe 2, et sont protégées contre les virus de ce groupe, dont le virus A/H7N9. Ce type de réponse croisée pourrait aussi selon certains expliquer l’épidémiologie de la grippe dite « espagnole » de 1918 qui a affecté de manière préférentielle les sujets jeunes ; les sujets plus âgés ayant été pour une part protégés par la réponse immunitaire induite dans leur enfance par des virus proches.

Ces données montrent l’importance de la réponse croisée et de l’empreinte immunologique dans l’enfance même s’il reste à déterminer l’impact de l'empreinte initiale versus le résultat de l'effet cumulatif d'une exposition itérative au cours de la vie par le virus.

LE PÊCHÉ ANTIGÉNIQUE ORIGINEL

Le virus de la grippe a été isolé dans les années 1930 et un vaccin a été très rapidement développé. Si celui s’est montré efficace, il est devenu évident que le virus mutait rapidement, impactant l’efficacité du vaccin. Par ailleurs, il a été constaté peu après que les individus avaient des titres d'anticorps (Ac) plus élevés contre les souches de virus auxquelles ils avaient été exposés dans leur enfance que contre des souches de circulation plus récente. De plus, la vaccination avec des souches contemporaines induisaient une augmentation plus importante des titres d'Ac contre les souches antérieures que contre les souches vaccinales elles-mêmes. Ce dernier phénomène a été théorisé par Thomas Francis sous le nom de "péché antigénique originel" (Original Antigenic Sin ou OAS, des auteurs anglo-saxons) (3).

La définition qu’en donnait Thomas Francis était la suivante : « l'induction d'une réponse immunitaire plus robuste à l'immunogène de prime "versus" un immunogène de boost qui lui-même se lie faiblement, voire pas du tout, aux Ac induits par l'immunogène de prime ».

Dans une revue critique récente, Yedwell et Santos (4) ont souligné plusieurs points essentiels, selon eux, relatifs à l’OAS :

  • L’OAS n’est pas spécifique à la grippe mais s’observe également avec les flavivirus (dengue, zika), les rétrovirus (HIV), les picornavirus (enterovirus) voire d’autres pathogènes comme E. coli et S. aureus.
  • Ce phénomène est observé chez tous les vertébrés chez lesquels il a été recherché.
  • L'OAS repose sur le fait que les lymphocytes B mémoire sont stimulés par des concentrations d'antigènes beaucoup plus faibles que les lymphocytes B naïfs. Ceci a un impact sur les stratégies susceptibles d’éviter ce phénomène : les lymphocytes B mémoire séquestrant les immunogènes lorsque ceux-ci sont en faible quantité, l’utilisation de doses importantes d’antigène lors des vaccinations de rappel, permet de contourner le problème et d’induire l'activation des lymphocytes B naïfs.
  • Si les Ac responsables du phénomène d’OAS présentent une faible avidité pour l’immunogène activateur, ils peuvent néanmoins exercer une activité antivirale à la condition qu’ils soient présents à des concentrations suffisamment élevées, étant alors à l’origine de la réponse croisée.

DIVERSITÉ VIRALE ET PECHE ANTIGENIQUE ORIGINEL

Comme mentionné ci-dessus, le phénomène d’OAS relève d’une compétition pour l’antigène entre lymphocytes B naïfs et mémoire. Dès lors, il faut une certaine similarité entre les souches microbiennes pour que ce phénomène s’observe.

On se retrouve en effet dans un effet de balance entre (i) réponse dirigée contre des antigènes conservés (la partie « Stalk » de l’hémagglutinine (HA) de la grippe) permettant d’avoir une protection croisée mais moins efficiente et (ii) réponse contre des antigènes variables (tête de l’HA) plus efficace en termes de protection.

Dans le cas de la grippe, plusieurs séquences d’infection/infection peuvent être envisagées (5) :

  • "1" des infections homologues mono-sous-types (ex : sH1N1 --> sH1N1) ;
  • "2" des infections hétérologues mono-sous-types (ex : sH1N1 -->2009 H1N1) ;
  • "3" des infections hétéro-sous-typiques (sH1N1 --> H3N2)
  • "4" des infections hétérotypiques (ex : sH1N1 --> virus de type B).

Le phénomène d’OAS ne s’observera que dans la situation "2" : les lymphocytes B mémoire générés lors d'un contact antérieur avec le virus de grippe avec des spécificités dirigées contre la partie conservée de HA (Stalk) sont rappelés de préférence à l'établissement de nouveaux anticorps qui seraient spécifiques de nouveaux épitopes de la tête de l'hémagglutinine.

Ce qui s’observe après infection, s’observe également après vaccination. Ainsi Sodwoskri et al. ont pu rapporter l’impact clinique négatif d’une vaccination répétée avec un vaccin H3N2 (clade 3C.1) sur l’infection par une souche proche H3N2 (clade 3C.2a) durant l’épidémie de grippe de la saison 2014-2015 au Canada (6).

RETOUR AU COVID19

Si la réponse croisée a permis que les vaccins anti COVID19 initiaux (basés sur l’utilisation de la protéine Spike de la souche Wuhan) induisent une protection contre les VOC, plusieurs études ont suggéré l’induction de phénomènes d’OAS lors des stimulations répétées, notamment au cours de la mise en place d’une immunité hybride (celle acquise après infection et vaccination).

Ainsi la séquence « infection par une souche ancestrale --> vaccination --> infection par une souche Omicron » induit une réponse anticorps plus faible contre Omicron que la séquence sans infection initiale, à savoir, « vaccination --> infection par une souche Omicron » (7).

Ceci a été élégamment décrypté chez la souris par l’équipe de Gabriel Victora, éminent spécialiste de l’étude de la réponse anticorps aux infections (8). Cette équipe a développé une approche de type “ molecular fate-mapping ” dans laquelle les anticorps sériques dérivés de cohortes spécifiques de lymphocytes B (naïfs ou mémoire) peuvent être détectés de manière différentielle. Ils ont ensuite vacciné les souris modifiées avec deux schémas de 3 vaccinations à l’aide des vaccins codant pour les protéines spike Wuhan (W) ou Omicron (B) du SARS CoV-2 ; un schéma "WWW" et un schéma "WBB". Dans leur expérience, ils montrent que si toutes les souris développent des anticorps anti-Omicron, seules les souris ayant reçu la série WBB développent des anticorps provenant de cellules B naïves et susceptibles de reconnaître les épitopes mutés d’Omicron ; les souris ayant reçu la série WWW présentent des anticorps issus de cellules B mémoires et ne reconnaissant que des épitopes conservés entre les souches W et B.

POUR NE PAS CONCLURE

La réponse immunitaire contre des agents pathogènes capables de muter rapidement et fréquemment, est susceptible de s’accompagner de phénomènes de protection croisée bénéfiques mais également de phénomènes d’OAS potentiellement plus délétères.

La prise en charge de l’ensemble de ces paramètres est important en vaccinologie. En effet jusqu'à présent, les recommandations de vaccination annuelle contre la grippe ont largement ignoré le rôle complexe de l'immunité préexistante, partant du principe erroné que le sujet vacciné est immunologiquement « vierge » avant chaque dose annuelle. Or, il existe des interrelations et des implications complexes de la parenté antigénique entre le virus initial, les doses vaccinales consécutives et le virus actuellement en circulation.

Ce qui est vrai pour la grippe l’est également pour la COVID19. Il est important d’avoir à l’esprit l’ensemble de ces paramètres lors de l’élaboration des stratégies vaccinales contre ces virus et notamment pour les recommandations destinées aux populations non à risque de formes sévères, mais que l’on souhaite vacciner à titre collectif comme les enfants ou les personnels soignants.

Références

  1. Sokal A et al « Maturation and persistence of the anti-SARS-CoV-2 memory B cell response » Cell, 2021, doi : 10.1016/j.cell.2021.01.050
  2. Gostic KM et al « Potent protection against H5N1 and H7N9 influenza via childhood hemagglutinin imprinting » Science, 2016, doi: 10.1126/science.aag1322.
  3. Francis T Jr. « On the doctrine of original antigenic sin ». Proc Am Philos Soc, 1960, 104: 572–578.
  4. Yewdell JW & Santos JS « Original Antigenic Sin: How Original? How Sinful? » Cold Spring Harb Perspect Med, 2020, doi: 10.1101/cshperspect.a038786
  5. Francis ME et al « Back to the Future for Influenza Preimmunity—Looking Back at Influenza Virus History to Infer the Outcome of Future Infections » Viruses, 2019, doi:10.3390/v11020122
  6. Skowronski DM et al « A Perfect Storm: Impact of Genomic Variation and Serial Vaccination on Low Influenza Vaccine Effectiveness During the 2014–2015 Season » Clinical Infectious Diseases, 2016, doi : 10.1093/cid/ciw176
  7. Suryawanshi R & Ott M « SARS- CoV-2 hybrid immunity: silver bullet or silver lining? » Nature Review Immunology, 2022, doi: 10.1038/s41577-022-00771-8
  8. Schiepers A et al, « Molecular fate-mapping of serum antibodies reveals the effects of antigenic imprinting on repeated immunization» bioRxiv, 2022, doi: 10.1101/2022.08.29.505743
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