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LE POINT SUR

FcRn et anticorps thérapeutiques, les affinités électives

Le récepteur néonatal pour le Fc des immunoglobulines G ("FcRn") est un récepteur aux propriétés étonnantes. Il permet en effet de prolonger la survie des IgG par un processus de recyclage, leur évitant une dégradation trop rapide. La manipulation du FcRn ou des immunoglobulines avec lesquelles il interagit, permet aujourd'hui des avancées thérapeutiques spectaculaires.
un article rédigé par Sylvain DUBUCQUOI 10/07/2023
Un dossier rédigé par le Dr Yanis RAMDANI et le Pr Hervé WATIER ; CHU et Université de Tours.
  • Public cible : Enseignants d’immunologie, immunologistes, médecins, pharmaciens
  • Temps de lecture : 7 minutes
  • Relu par les professeurs Thierry VINCENT (CHU de Montpellier) et Sylvain DUBUCQUOI (CHU de Lille)

Le FcRn qu’est-ce que c’est ?

Le récepteur néonatal pour le fragment cristallisable (Fc) des IgG (FcRn) est un récepteur qui se distingue moléculairement, génétiquement et fonctionnellement des Fc gamma Receptors (FcgR) classiques (FcgRI, FcgRIIA, FcgRIIB, FcgRIIC, FcgRIIIA, FcgRIIIB chez l’Homme).

Il fait partie des homologues du CMH de classe I, est associé à la bêta2-microglobuline, mais n’a pas de cavité pour loger un peptide antigénique. C’est son implication dans le transfert passif des IgG de la mère au nouveau-né qui lui a valu d’être nommé ainsi, mais il est présent toute la vie, dans de nombreux tissus.

Son existence avait été supposée par Brambell en 1964 pour expliquer les phénomènes de saturation lors de l’injection de fortes doses d’IgG (accroissement du catabolisme à forte dose) avant d’être caractérisé chez le rongeur en 1984 ; il est donc parfois dénommé aussi récepteur de Brambell.

Il présente de nombreuses différences avec les Fc gamma R. Tout d’abord, il est exprimé par de très nombreux types cellulaires comme les cellules épithéliales, endothéliales et de nombreuses cellules myéloïdes et lymphoïdes. Son site de fixation sur le Fc de l’IgG est différent de celui des autres FcgR ; ces derniers se lient, comme le C1q, au niveau de la « petite charnière » de l’IgG (jonction charnière-CH2), tandis que le FcRn se lie à la jonction CH2-CH3, comme la protéine A du staphylocoque. Conséquence concrète de cette différence de site, la glycosylation du Fc peut affecter les fonctions effectrices des anticorps mais n’impacte pas la liaison au FcRn.

Cela est important pour les anticorps et protéines de fusion Fc thérapeutiques aglycosylés (romiplostim, atézolizumab, eptinezumab, etc.). Autre particularité, la liaison au FcRn est également dépendante du pH, c’est-à-dire que les IgG ne se lient au FcRn qu’à pH acide (~6) mais qu’elles se dissocient à pH physiologique (7,4), dans le milieu extracellulaire.

Un récepteur intracellulaire pour les immunoglobulines ?

Le FcRn est un récepteur intracellulaire présent quasi-exclusivement dans les compartiments vésiculaires, avec une expression transitoire à la surface cellulaire lors des phases de fusions des vésicules endosomales à la membrane.

Dans les cellules polarisées, épithéliales et endothéliales, il va jouer deux rôles distincts. Le premier, celui d’assurer le recyclage des IgG (après internalisation au pôle basal ou apical). C’est cette propriété qui explique la longue demi-vie des IgG dans le sérum (3 semaines chez l’Homme, hors liaison à l’antigène). Le second, est celui d’être impliqué dans la transcytose des IgG d’un pôle à l’autre, jouant un rôle dans leur biodistribution, à l’exemple du passage des IgG dans le lait maternel ou le transfert transplacentaire de l’immunité, via les seules IgG.

Enfin, une différence importante d’avec les autres FcgR est son affinité pour un second ligand, l’albumine, qu’il reconnaît grâce à un site spécifique et qu’il recycle par un mécanisme analogue à celui des IgG, lui conférant aussi une longue demi-vie. Notons ici que le FcRn interagit avec les 2 éléments essentiels pour le maintien de la pression oncotique (constituant les deux pics les plus importants à l’électrophorèse des protéines).

La découverte de ces différentes propriétés s’est faite en parallèle du développement rapide des anticorps monoclonaux thérapeutiques (Acms) liant donc étroitement le FcRn à leur comportement pharmacocinétique (demi-vie et biodistribution dans les différents compartiments), à l’amélioration de celle-ci par ingénierie de la portion Fc et plus récemment à sa reconnaissance comme cible thérapeutique dans certaines maladies.

Quel est l’impact du FcRn sur la structure et la pharmacocinétique des anticorps thérapeutiques ?

La spécificité du FcRn pour les seules IgG explique implicitement que cette classe ait été choisie pour tous les Acms (à l’exception des rares fragments) car elle permet un bon espacement des injections. Il en est de même pour toutes les protéines de fusion à portion Fc, toutes associées à un Fc d’IgG. Cette interaction a même dicté les sous-classes utilisées en thérapeutique, l’IgG3 n’ayant jamais été retenue malgré ses bonnes fonctions effectrices, du fait de sa faible affinité pour le FcRn.

La quête d’optimisation de l’affinité de la liaison entre le Fc de l’IgG et le FcRn (mutations effectuées dans l’environnement du site de liaison au FcRn) a même permis de dépasser la demi-vie physiologique de 3 semaines. Dans les molécules en développement ou déjà commercialisées, 3 mutations sont principalement utilisées dans l’ingénierie du Fc, les mutations M252Y/S254T/T256E ("YTE), M428L/N434S ("LS") et M428L/N434A ("LA"). Pour les patients, cette extension de demi-vie est souvent gage d’une diminution de la fréquence d’administration et, pour les soignants, d’une meilleure exposition au biomédicament et donc théoriquement d’une amélioration de la réponse thérapeutique.

Cet allongement de la demi-vie au-delà de la limite physiologique a permis le développement de molécules dont les exemples récents les plus marquants se trouvent dans les thérapeutiques antivirales. Le nirsévimab (mutation "YTE") est un anticorps neutralisant le virus respiratoire syncytial, responsable d’épidémies hivernales de pneumonies particulièrement sévères notamment chez les nourrissons. Avec sa demi-vie d’environ 100 jours, ce biomédicament permet en une seule injection de protéger le nourrisson durant toute la période épidémique. Cet effet a fait passer, à tort, cet anticorps pour un vaccin, mais il s’agit en réalité d’une immunisation passive sans génération de mémoire immunitaire.

Ces technologies sont également suffisamment maîtrisées aujourd’hui pour pouvoir être développées rapidement, comme avec les thérapeutiques ciblant l’infection à SARS-CoV-2 par exemple, en pleine période de pandémie. On peut citer ici le sotrovimab (mutation "LS") utilisé dans les formes d’infections peu sévères, ou encore l’association tixagévimab + cilgavimab (mutation YTE pour chacun) qui était utilisée en traitement prophylactique pré-exposition chez les patients non, ou insuffisamment, répondeurs à la vaccination.

Liaison IgG Fc- FcRn : vers de nouvelles opportunités pharmacocinétiques et pharmacodynamiques ?

Une fois lié à sa cible, le biomédicament n’est plus capable d’en lier de nouvelles (élimination par la cible ; ce que les pharmacologues appellent target-mediated drug disposition, TMDD). De ce fait le maintien dans la circulation des complexes cible-mAbs recyclés par le FcRn n’apporte aucun bénéfice thérapeutique.

Partant de ce postulat et par analogie à la liaison de l’IgG au FcRn qui est dépendante du pH, un nouveau type de mAbs a été imaginé, combinant des mutations du site de liaison au FcRn associées à des mutations au niveau des régions déterminant la complémentarité ("CDR", principalement par l’introduction d’histidines) rendant la liaison à l’antigène elle aussi dépendante du pH.

Les anticorps « recyclables » ont ainsi vu le jour, capables de se libérer de leur cible dans les endosomes puis d’être ensuite recyclés, à nouveau prêts pharmacologiquement à capturer de nouvelles cibles.

On peut citer ici le ravulizumab, ciblant la molécule C5 du complément et actuellement indiqué dans l’hémoglobinurie paroxystique nocturne. Par rapport à l’éculizumab dont il dérive, deux substitutions par histidine ont été introduites au niveau des CDR du domaine VH (Y27H et S57H) et une double mutation LS l’a été au niveau du Fc.

Le satralizumab est une IgG1 anti-chaine alpha du récepteur à l'IL-6 actuellement approuvée dans les neuromyélites optiques. Par rapport au tocilizumab dont il dérive, plusieurs mutations ont été introduites dans les CDR (Y27H/S31H dans le VH et Y32H/ R33H/H55L dans le VL) associées à une mutation N434A pour le Fc.

Prolongeant ce raisonnement, certains pensent à l’inverse augmenter la liaison des IgG au FcRn à pH neutre pour augmenter la capacité de capture des complexes immuns et d’élimination de l’antigène en même temps que l’anticorps. De tels anticorps sont actuellement encore en phase de développement, notamment pour accélérer la destruction de toxines bactériennes.

Le recyclage est-il toujours bénéfique ? ou quand le FcRn devient une cible thérapeutique.

Le FcRn permet donc de moduler la biodisponibilité des Acms, et bien sûr de tous les anticorps endogènes de la classe des IgG, qu’ils soient protecteurs ou pathogènes.

La perspective de pouvoir moduler les taux d’auto-anticorps en jouant sur la saturation de la liaison au FcRn, par analogie aux immunoglobulines intraveineuses (IgIV), est rapidement apparue comme une autre opportunité thérapeutique.

De nombreux biomédicaments de structure très différente (anticorps complets, fragments Fc, peptides), mais ayant en commun de rendre le FcRn indisponible pour le recyclage des IgG endogènes sont commercialisés ou en voie de l’être. Ils représentent une piste intéressante dans les maladies induites par des auto-anticorps pathogènes, avec l’avantage d’être une alternative face aux pénuries fréquentes d’IgIV.

L’efgartigimod est le chef de file de ces nouvelles thérapeutiques. C’est un fragment Fc d’IgG modifié qui se fixe au FcRn sans possibilité de dissociation ; il est actuellement autorisé en traitement de la myasthénie, provoquant une diminution du taux d’anticorps anti-récepteurs à l’acétylcholine et l’amélioration des symptômes. Il est en développement dans d’autres maladies auto-immunes comme le purpura thrombopénique immunologique (PTI) ou l’anémie par allo-immunisation fœto-maternelle.

Reste en suspens la question de l’effet de ces traitements sur le taux d’albumine. Les sites de liaison à l’albumine et aux IgG sur le FcRn sont bien distincts et les biomédicaments ont été sélectionnés pour ne bloquer que la liaison IgG-FcRn. Malgré tout, il est possible que les deux ligands agissent en synergie fonctionnelle, et que le blocage de l’un des sites altère le « trafficking » du récepteur et le recyclage ou la biodistribution, de l’autre ligand. Dans la pratique, les premiers résultats ne montrent pas d’hypoalbuminémie évidente, mais il est prudent de garder à l’esprit l’éventualité d’effets plus subtils sur le long terme.

Et après ?

Le duo FcRn-Acms n’a probablement pas fini de faire parler de lui, les Acms et protéines de fusion Fc occupant une place de plus en plus importante dans l’arsenal thérapeutique.

De plus en plus d’études s’attachent également à mieux cerner le rôle du FcRn dans la physiopathologie de nombreuses maladies néoplasiques ou dysimmunitaires, ce qui pourrait ouvrir de nouvelles perspectives d’utilisation des thérapeutiques bloquant le FcRn. Enfin ce duo pourrait se transformer en trio, son lien avec l’albumine étant encore peu exploité en thérapeutique humaine.

Le saviez-vous ? affinité et pH, un (autre) duo inséparable !

Quand on parle de modification de l’affinité des anticorps monoclonaux pour le FcRn, il importe de bien définir le pH auquel cette affinité est modifiée car plusieurs possibilités existent.

  • L’augmentation de l’affinité des Acms pour le FcRn à pH acide entraîne une augmentation de la demi-vie de la molécule de manière importante et représente la principale modification utilisée en thérapeutique actuellement. Nous pouvons citer ici le nirsévimab ou le sotrovimab par exemple.

  • L’augmentation de l'affinité des Acms pour le FcRn à pH acide et également à pH neutre entraîne une accumulation du biomédicament dans les compartiments intra-cellulaires et une baisse de sa demi-vie par défaut de libération dans le milieu extracellulaire. Cependant lorsque le bon équilibre est trouvé, les anticorps obtiennent des capacités « recyclantes », voire peuvent se complexer durablement avec le FcRn. Cette dernière propriété leur permet d’internaliser leur cible puis de la libérer dans l’endosome pour qu’elle soit ensuite dégradée (si la liaison à l’antigène est également rendue dépendante du pH). L’IgG retourne ensuite à la membrane de la cellule et, au lieu d’être libérée, elle peut capter une nouvelle cible et initier un nouveau cycle (sweeping antibodies, qu’on pourrait traduire par anticorps-balais).

  • A l’extrême, l’abolition complète du caractère de dépendance au pH jointe à une forte affinité entraîne la neutralisation de FcRn. Ce mécanisme est utilisé notamment dans les thérapeutiques ciblant le FcRn tel que l’efgartigimod. Les principales modifications sont résumées dans la Figure 1.

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