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LE POINT SUR

Les anticorps sont IdeS-tructibles !

Une utilisation détournée d'enzymes bactériennes ciblant les IgG et les autres isotypes d’Ig humaines, initialement produites par des agents pathogènes pour affaiblir notre immunité, et désormais utilisées au bénéfice des patients : c'est possible !
un article rédigé par Chloe BOST 27/09/2023
"Un point sur" proposé par

les Docteurs Gwendaline GUIDICELLI et Nicolas CONGY, respectivement biologistes au sein du Laboratoire d’Immunologie et Immunogénétique, CHU de Bordeaux et du Laboratoire d’Immunologie et d’histocompatibilité, CHU de Toulouse, et membres de la SFHI (Société Francophone d’Histocompatibilité et d’Immunogénétique)

  • Une publication accompagnée par le Dr Chloe BOST ( CHU de Toulouse) et le Pr Sylvain DUBUCQUOI (CHU de Lille)
  • Public cible : Enseignants d’immunologie, étudiants, internes, immunologistes, néphrologues, médecins, pharmaciens
  • Temps de lecture : 10 minutes

Introduction : détournement d’armes bactériennes

Les bactéries sont naturellement armées pour contrer nos défenses immunitaires. Ainsi des molécules d’origine bactérienne, comme les IBP (Immunoglobulin binding protein), ont été identifiées et étudiées pour leur potentiels thérapeutiques immunosuppresseurs (Sidorin et al., 1991). Ces protéines se lient à nos Immunoglobulines (Ig) dans le but d’interférer avec les capacités d’opsonisation des IgG, la phagocytose, la lyse complément dépendante (CDC : complement dependent cytotoxicity), et la cytotoxicité cellulaire dépendante des anticorps (Ac) (ADCC : antibody dependent cell cytotoxicity). Les streptocoques, les staphylocoques ainsi que certaines bactéries Gram négatif comme des Haemophilus, Yersinia, Pseudomonas, ou Escherichia coli peuvent se lier à nos IgG, ou les détruire (Holder et al., 1984 ; Tolo et al., 1991 ; Sidorin et al., 1991 ; Berge et al., 1995 ; Kihlberg et al., 1999). Cette capacité de liaison a pu être détournée à notre avantage en trouvant un usage en pratique médicale. C’est le cas notamment de la Protéine A de Staphylococcus aureus, qui physiologiquement joue un rôle dans la virulence de la bactérie en se liant avec une forte affinité au fragment Fc des IgG et à la portion Fab des récepteurs des lymphocytes B (BCR : B cell receptor) (Klevens et al., 2007 ; Falugi et al., 2013). Cette protéine A, produite de manière recombinante, a pu ainsi être utilisée en biologie pour purifier les IgG, et fixer les Ac pathogènes sur des colonnes d’immunoadsorption.

Streptococcus pyogenes : des armes inspirantes

Les Streptococcus pyogenes sont des bactéries Cocci Gram positif, aérobies, pathogènes pour l’humain. Elles peuvent être responsables d’affections bénignes telles que des pharyngites, de l’impétigo, mais aussi d’infections graves comme des fasciites nécrosantes, des septicémies, ou des syndromes de choc toxique streptococcique (Cunningham et al., 2000). Outre leur pathogénicité, ces bactéries ont été notamment étudiées pour leur contenu protéasique, qui cible les IgG humaines. Elles possèdent notamment l'Endo-bêta-N-acétylglucosaminidase de Streptococcus (EndoS), qui clive la partie glycosylée des IgG entre les 2 N-acétylglucosamine, générant ainsi des IgG déglycosylées. Cette déglycosylation entraine une perte drastique de la liaison des Ig aux récepteurs Fc des Ig, et donc impacte négativement l’ADCC (Benkhoucha et al., 2012). Streptococcus pyogenes possède également l’Immunoglobulin G-degrading enzyme of Streptococcus pyogenes (IdeS). Cette enzyme de 36 kDa est synthétisée directement sous sa forme active, sans nécessiter d’activation préalable (Collin et al., 2001 ; Von Pawel Rammingen et al., 2002). Cette particularité catalytique la distingue des autres cystéines protéases bactériennes. Elle partage également une certaine homologie avec d’autres enzymes bien connues des biologistes, telles que la papaïne et la cathepsine B (Wenig et al., 2004). « IdeS » est une endopeptidase spécifique des IgG humaines et de lapin, et clive l’IgG humaine au niveau de la région charnière entre Gly-236 et Gly-237, sur un motif Leu-Leu-Gly-Gly pour les IgG1, IgG3 et IgG4. Le motif Pro-Val-Ala présent sur les IgG2 semble être également ciblé par cette enzyme. IdeS clive ainsi les 4 sous-classes d’IgG humaines (Vincents et al., 2004, Wenig et al., 2004). Cette différence de site de clivage de l’IgG2 met cependant en évidence une certaine particularité des IgG2 vis-à-vis de l’activité protéasique d’IdeS, et peut expliquer du moins en partie, la moindre sensibilité des IgG2, et des Ac monoclonaux thérapeutiques (AcMoTh) produits sur la base d’une IgG2, comme l’eculizumab (un AcMoTh anti-C5, hybride IgG2/IgG4) (Von Pawel Rammingen et al., 2002). Le potentiel protéasique de Streptococcus pyogenes a donc suscité rapidement un vif intérêt pour le développement clinique de ces molécules visant à cibler i) les auto-anticorps pathogènes, tels que ceux impliqués dans le syndrome de Guillain-Barré, le Syndrome de Goodpasture, le syndrome des anti-phospholipides et les vascularites, (Collin et al. 2001 ; von Pawel Rammingen et al., 2002 ; Winstedt et al., 2015 ; Padmanabhan et al., 2019 ; Klontz et al., 2022 ; Shin et al., 2022 ; Uhlin et al., 2022), et ii) les allo-anticorps anti-HLA, pouvant être responsables du rejet humoral de greffe.

De l’enzyme bactérienne au médicament

De cette idée est né un médicament appelé « imlifidase » : une protéine IdeS recombinante produite dans Escherichia coli (GenBank accession number ADF13949.1, Idefirix®, Hansa Biopharma) et utilisé à la dose de 0.25mg/kg pour éliminer les Ac de la circulation sanguine (Winstedt et al., 2015). Comme l’IdeS natif bactérien, l’imlifidase clive les Ac anti-HLA des 4 sous-classes d’IgG (mais pas les IgM, IgA et IgE), qu’ils soient solubles ou membranaires, ainsi que les IgG de lapin, en fragment Fc et F(ab’)2, F(ab’)2 conservant ses capacités de fixation à l’antigène. Ainsi, ce clivage inhibe les fonctions effectrices immunitaires des IgG impliquées dans le rejet humoral telles la CDC et l’ADCC (Jarnum et al., 2015 ; Jordan et al., 2017 ; Lorant et al., 2018), notamment l’ADCC induite par les cellules NK (Ge et al., 2020). L’imlifidase dégrade également les immunoglobulines à la membrane des lymphocytes B (BCR), ce qui inhibe le signal cellulaire médié par ce récepteur pour l’antigène et empêche transitoirement la réponse des cellules B mémoires à la stimulation antigénique, et leur maturation en cellules productrices d'anticorps (Jarnum et al., 2015). La cinétique de son action a été étudiée lors d’une étude randomisée de Phase I chez des sujets sains, montrant un effet-dose de l’imlifidase sur la disparition des IgG circulantes et l’expression du BCR. Le clivage des IgG se produit dès les premières minutes de l’injection avec l’apparition des premières IgG clivées sur une seule des chaines lourdes (Figure n°1), pour être ensuite complètement clivées quelques heures après l’injection en fragments Fc et F(ab’)2. La synthèse de nouvelles IgG est détectée 2 à 3 jours après l’injection, pour retrouver son niveau basal entre 1 à 2 mois après injection chez le sujet sain, bien que la variabilité inter-individuelle constatée reste très élevée (Winstedt et al., 2015). Les demi-vies de distribution et d’élimination de l’imlifidase sont respectivement d’environ 2 heures, et 89 heures (EMEA Idefirix®). Les capacités de lyse de l’imlifidase nécessitent une précaution particulière quant aux interactions de cette enzyme avec les traitements à base d’IgG humaines et de lapin. Ainsi, il est recommandé d’attendre 4 jours après l’injection d’imlifidase avant d’administrer du rituximab, de l’alemtuzumab ou un AcMoTh ; 12 heures pour les immunoglobulines intraveineuses (IVIg) ; 1 semaine pour le belatacept (une protéine de fusion avec une fragment Fc d’IgG humaine) ; et 4 jours pour les Ac anti-thymocytes de lapin. L’eculizumab et les anti-thymocytes d’origine équine ne semblent pas être affectés par cette restriction (Huang et al., 2021). En tant que molécule d’origine bactérienne, l’imlifidase peut être immunogène chez l‘homme. Il est à noter que la présence d’Ac anti-imlifidase est observée dans la population générale, probablement suite aux expositions naturelles à Streptococcus pyogenes (Winstedt et al., 2015). Ces Ac anti-médicament augmentent après l’injection d’imlifidase, de manière dose-dépendante. Lorant et al. ont rapporté dans leur étude une augmentation des concentrations d'IgG anti-IdeS au 7ème jour après le traitement chez tous les patients. Dans le contexte de l’injection d’imlifidase, ces anticorps sont clivés comme les autres IgG mais peuvent poser des questions concernant la réinjection d’imlifidase (Lorant et al., 2018).

L’IdeS en transplantation rénale

Forte de ces caractéristiques, l’imlifidase a rapidement été considérée comme un traitement prometteur pour la désensibilisation des patients hyper allo-immunisés suite à des transfusions, grossesses, fausse-couches, ou transplantations antérieures. En effet, si la transplantation rénale reste le meilleur traitement de l’insuffisance rénale terminale (Cassuto et al., 2016 ; Haller et al., 2019), les Ac anti-HLA constituent un obstacle majeur à la greffe de ces patients, notamment chez les plus immunisés (Leffell et al., 2011). Selon les études, environ 30% des patients en attente d’une greffe rénale possèdent des Ac anti-HLA. Certains patients ont des taux d’Ac si élevés qu’ils attendent longtemps sur la liste d’attente, avec peu d’espoir d’accéder à une greffe sans risque immunologique (c’est à dire de rejet de greffe), à savoir sans Ac dirigés contre le greffon (DSA : donor specific antibody) préformés et (Jordan et al., 2017). En alternative à la dialyse, la désensibilisation et l’accès à la greffe ABO-incompatible sont autant de moyens utilisés pour élargir les possibilités de trouver un donneur sans DSA préformés. Cela comprend l’utilisation de traitements désimmunisants comme les Ac anti-thymocytes, les IVIg, le rituximab et/ou l’usage de la plasmaphérèse/immunoadsorption. Cependant ces pratiques sont lourdes à mettre en œuvre, nécessitent un personnel qualifié, et un équipement spécifique que tous les centres n’ont pas à disposition. En 2017, la première étude clinique de Phase I-II (Jordan et al., 2017) visant à évaluer l’efficacité de la déplétion des Ac anti-HLA par IdeS avant greffe a été réalisée sur 25 patients hyperimmunisés suédois et américains ayant un score cPRA (calculated panel reactive antibody) moyen de 96%. Ce score cPRA estime le pourcentage de donneurs d’organe décédés incompatibles avec le receveur et permet de définir l’hyperimmunisation. Parmi ces patients, 22 présentaient des DSA et 20 avait un test biologique d’histocompatibilité positif (test du crossmatch : XM), confirmant le risque immunologique pris pour ces greffes. En effet, le crossmatch révèle in vitro la présence de DSA se fixant sur les lymphocytes T et Lymphocytes B du donneur (XM réalisé en cyrtométrie en flux) et entrainant leurs lyses complément-dépendantes (XM réalisé en lymphocytotoxicité complément dépendante : LCT). Après une déplétion initiale des Ac anti-HLA constatée chez tous les patients traités (aucun Ac anti-HLA détectable immédiatement après la transplantation), un rebond de ces derniers a été observé entre 7 et 14 jours, et 10 patients de l’étude ont présenté des rejets humoraux caractérisé en anatomopathologie. Une seule perte de greffon a été observée. Une étude de phase II (Highdes Trial) comportait 19 patients ayant un donneur vivant ou décédé incompatible, originaires des États-Unis, de Suède et de France (Jordan et al., 2021). Le critère principal d'efficacité était la capacité de l'imlifidase à convertir un XM positif en un XM négatif, conversion atteinte dans les 24 heures suivant le traitement à l'imlifidase dans 89,5 % des cas. Dans l'étude de suivi incluant tous les patients transplantés après désensibilisation à l'imlifidase, le taux de rejet médié par les anticorps (Acute antibody mediated rejection : AMR) était de 39%. La survie du greffon à trois ans, censurée par les décès, était de 93 % chez les patients atteints d’AMR (Jordan et al., 2021). Les complications infectieuses observées lors de l’utilisation de l’imlifidase n’ont pas été plus fréquentes que celles observées dans les processus thérapeutiques des greffes plus classiques. Dans les premières études, pas ou peu de réactions à la première injection ont été rapportées (Jordan et al.,2017 et 2021 ; Lorant et al., 2018).

Depuis aout 2020, l’imlifidase a reçu une autorisation de mise sur le marché conditionnelle en Europe (EMEA Idefirix®) pour la désensibilisation pré-greffe de rein de patents adultes hyperimmunisés avec un crossmatch positif contre un donneur décédé ABO compatible. L'utilisation de ce médicament doit être réservée aux patients ayant une probabilité faible d'être transplantés dans le cadre du système de répartition et d'attribution des greffons en vigueur, y compris dans le cadre des priorités et/ou programmes destinés aux patients hyperimmunisés (Al-Salama et al., 2020 ; EMEA Idefirix®). Pour cette première indication de l’imlifidase en France, les sociétés savantes de transplantation et d’immunogénétique ont défini les critères d’éligibilité des patients pouvant bénéficier de ce nouveau traitement (Couzi et al., 2023).

L’imlifidase : de grandes perspectives en auto-immunité

L'imlifidase a été proposée comme alternative à la plasmaphérèse dans certaines pathologies auto-immunes, notamment les formes réfractaires de la maladie des anticorps anti-membrane basale glomérulaire (anti-MBG). Dans un modèle expérimental, l'imlifidase a permis de réduire les anticorps circulants et les anticorps déposés sur les MBG. En particulier, elle a été capable d'éliminer la partie Fc des anticorps attachés aux MBG, empêchant l'activation du complément (Yang et al., 2010). Les données sur l'utilisation de l'imlifidase en pratique clinique sont limitées. Dans une étude suédoise, 3 patients atteints de la maladie anti-MBG avec une glomérulonéphrite aiguë nécessitant une dialyse et sans atteinte pulmonaire ont été traités avec de l'imlifidase. Une élimination rapide et complète des anticorps a été démontrée. Malheureusement, aucun bénéfice sur les résultats rénaux n'a été observé et après 6 à 13 jours, un rebond des anticorps s'est produit (Soveri et al., 2019). Dans une étude ouverte de phase 2a sur 15 patients avec des anticorps anti-MBG la même clairance rapide et complète des anticorps anti-GBM a été observée après une perfusion d'imlifidase (en plus d'un traitement standard incluant les échanges plasmatiques). Cependant, dans cette étude, une amélioration des résultats rénaux a également été obtenue, 67% des patients étant en bonne santé après la perfusion d'imlifidase (Uhlin et al., 2022).

Pour conclure

Nous ne faisons encore qu’effleurer l’utilisation thérapeutique de ces enzymes bactériennes ciblant les IgG et les autres isotypes d’Ig humaines, initialement produites par des agents pathogènes pour affaiblir notre immunité, et désormais utilisées au bénéfice des patients. En transplantation, l'imlifidase est le premier traitement autorisé dans ce domaine depuis le belatacept il y a plus de 10 ans. Son utilisation offre un nouvel espoir aux patients considérés jusqu'à présent comme très difficilement transplantables, voir ingreffables au vu de leur niveau d’immunisation. De nombreux développement sont en cours dans le traitement du rejet aigu mais aussi dans de nombreuses maladies auto-immunes où les auto-Ac jouent un rôle central dans la physiopathologie de la maladie. Le développement de schémas d’administration incluant différents dosages ou de multiples injections nécessitera l’amélioration de nos techniques de monitoring biologique de ce médicament, et notamment de son immunogénicité.

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