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Sclérose en plaques et Epstein Barr Virus : le lien de causalité est-il établi ?

La sclérose en plaques (SEP) est une maladie inflammatoire chronique démyélinisante du système nerveux central, d'étiologie aujourd'hui inconnue. Cette pathologie est liée à la destruction des gaines de myéline (« démyélinisation ») qui entourent les neurones dans le cerveau et la moelle épinière, et augmentent la vitesse de conduction nerveuse.
un article rédigé par Sylvain DUBUCQUOI 22/09/2022

Relations SEP et virus d'Epstein-Barr (EBV)

Le principal agent viral associé à la SEP est le virus d'Epstein-Barr (EBV), herpès-virus humain qui, après infection, persiste chez l'hôte sous forme latente, notamment au sein des lymphocytes B (LB). Ce virus infecte toutefois près de 95% de la population mondiale, avec un pic de contamination à l’adolescence. L’association entre SEP et l'EBV a pu être proposée à partir de la constatation épidémiologique de l'augmentation du risque de SEP après une mononucléose infectieuse (MNI) symptomatique lors de l'adolescence, de l'augmentation des titres d'anticorps sériques contre les antigènes de l'EBV précédant les poussées et de la présence de l'EBV dans les plaques de démyélinisation de la SEP rapportées dans certaines études pathologiques. Les preuves de causalité, cependant, restaient peu concluantes jusqu’à ce jour.

Le travail de Bjornevik et al. publié dans la revue Science en janvier 2022.

Les auteurs ont engagé une collaboration avec l'armée américaine, et ainsi pu accéder aux échantillons biologiques de plus de plus de 10 millions de militaires d’origines raciales différentes et suivis régulièrement de 1993 à 2013. Ils ont eu accès à plus de 62 millions de sérums. Parmi les recrues, 5,3% étaient séronégatives à EBV lors du premier prélèvement sanguin, à l’enrôlement. Dans ce suivi de cohorte, 955 cas-incidents de SEP ont ainsi pu être documentés, 801 ont pu être exploités en termes d’accès aux prélèvements. Pour chaque cas de SEP, les auteurs disposaient de 3 échantillons sanguins : (i) le prélèvement réalisé à l’incorporation, (ii) le dernier avant l’apparition des symptômes (en moyenne 1 an avant l'apparition des symptômes), et (iii) un prélèvement intermédiaire. Les cas « SEP » ont été appariés à 2 individus n’ayant pas développé la maladie, sélectionnés au hasard, de même âge, sexe, origine ethnique, secteur d’activité militaire, date de prélèvements.

Les principaux résultats.

Les individus qui ont développé la SEP avaient en moyenne l'âge de 20 ans au moment de leur incorporation et ont présenté leurs premiers symptômes en moyenne 10 ans plus tard. Seuls 35 individus ayant développé la SEP étaient séronégatifs à l’incorporation. Sur 801 cas de SEP, un seul est survenu chez un individu « EBV négatif » lors du dernier prélèvement précédant la maladie. L’odds ratio (OR) du risque de développer la SEP chez des individus EBV-positifs par rapport aux individus EBV-négatifs a été calculé à 26,5 [intervalle de confiance (IC) de 3,7 – 191,6]. Le délai médian entre le premier échantillon EBV-positif et les premiers symptômes de SEP a été estimé à 5 ans (intervalle de 0 à 10 ans). Le taux de séroconversion EBV chez les individus ayant développé la SEP est de 97% ; chez les personnes qui n’ont pas développé la SEP, il est de 57%. Pour contrôle, les auteurs ont analysé de façon parallèle la séroconversion au cytomégalovirus (virus du même groupe herpès, âges et conditions de contaminations comparables…). Parmi les individus "CMV-négatifs" à l’incorporation, la séroconversion du CMV s’est produite à un taux similaire chez les individus qui plus tard ont développé la SEP et ceux qui ne l’ont pas développée. Le risque de développer une SEP était inférieur chez les individus CMV séropositifs. Pour compléter cette étude, les auteurs ont également analysé l'ensemble des anticorps (Ac) présents chez un sous groupe de cas (N= 30) et de contrôles (N = 30) dirigés contre plus de 200 virus responsables d’infections chez l'homme. Là encore, ils n’ont montré aucune différence en termes de "présence d'Ac anti virus" entre individus développant la SEP et ceux qui ne la développaient pas, hormis celles déjà identifiées concernant l'infection à EBV. Les auteurs ont enfin analysé les taux sériques de la chaîne légère du neurofilament (NFlc) durant le stade préclinique de SEP (phase asymptomatique généralement prolongée), pour montrer une association potentielle avec l'infection à EBV. Ils ont observé qu’avant d’avoir contracté la MNI, les taux de NFlc sont comparables entre les individus qui vont développer la SEP, et ceux qui ne la développerons pas. En revanche, ils augmentent après la séroconversion chez les patients qui ont développé la SEP. Non seulement l'infection à EBV précède les premiers symptômes de la SEP, mais elle précède aussi le processus de neurodégénération qui lui est associé, laissant penser que l'infection déclenche bien la maladie.

La discussion de ce travail

**- Un facteur confondant pourrait-il être à l’origine de cette association ? ** En d'autres termes, pourrait-il exister un 3ème facteur à l’origine à la fois du risque de SEP et du risque d’infection à EBV. L’approche statistique permet d’estimer ce risque. Pour expliquer l’association observée dans ce travail entre séroconversion EBV et SEP, il faudrait imaginer qu’un facteur de prédisposition confère un OR proche de (~) 60 de développer la SEP mais aussi un OR ~ 60 de faire une séroconversion EBV. À ce jour aucun facteur de prédisposition n’explique de tels risques combinés. Le seul facteur dont l’OR pour la SEP est supérieur à 1, est la présence de l’haplotype HLADR15 (DRB1*1501 to *1505 and *1507 : OR ~ 3 pour la SEP), non identifié comme facteur de risque de développer une MNI. En revanche, il est rapporté que groupe HLA DR15 et infection à EBV s’additionnent pour augmenter le risque de développer une SEP. - Une causalité inversée ? Est-ce que le développement de la SEP peut expliquer la séroconversion EBV ? En d'autres termes, le dysfonctionnement du système immunitaire associé à la SEP augmente-t-il le risque de développer une MNI symptomatique ? L’analyse de la production d'Ac dirigés contre l'ensemble des virus humains connus, réalisée dans l’étude, n’a montré aucune différence de réponse immunitaire entre individus qui développeraient une SEP et les autres, suggérant que ces individus ne présentent pas de déficit immunitaire particulier. Un autre argument est que l’augmentation des taux de NFlc est bien la conséquence de l’événement infectieux, et ne la précède en aucune manière.

Perspectives ?

Le traitement de l'infection et surtout sa prévention (vaccination) permettront-ils de guérir la SEP, et surtout de la prévenir ? Ou est-ce le fait même de développer une réponse immunitaire vis-à-vis de ce pathogène qui conduit au développement de la SEP, par mimétisme moléculaire, par exemple ?

Les limites de l’étude

  • Les auteurs présentent des résultats convaincants obtenus à partir de plus de 62 millions de prélèvements sanguins, chez plus de 10 millions d’individus suivis prospectivement pendant plus de 20 ans. Ils ont ainsi pu collecter les données de 955 cas incidents de SEP ; 801 étaient exploitables. On notera néanmoins que seuls 35 individus qui allaient développer la SEP étaient séronégatifs, à l’incorporation et donc au moment du premier prélèvement sanguin.
  • Les auteurs donnent peu d’éléments à propos du diagnostic de SEP, notamment s'il s’agit de façon prédominante de formes rémittentes (RRMS), secondairement progressives (SP) ou progressive primaires (PP). Au vu du jeune âge des recrues, on peut supposer qu’il s’agit de la forme RR de la maladie.
  • Enfin les auteurs discutent peu des mécanismes physiopathologiques, sinon que les LB sont des cibles privilégiées du virus, et qu’aujourd'hui un des traitements les plus efficaces dans le contrôle de la SEP repose sur l’élimination des LB circulants par biothérapie. Des travaux complémentaires ont été publiés depuis (là encore dans une revue prestigieuse : Ils mettent en avant une communauté antigénique entre certains antigènes de l'EBV et la molécule GlialCAM qui assure la cohésion des cellules gliales (Lanz, T. V. et al. Clonally expanded B cells in multiple sclerosis bind EBV EBNA1 and GlialCAM. Nature 603, 321–327 (2022)). De tels résultats, mis en exergue par la presse grand public, ainsi que la relation entre auto-immunité et le SARS-CoV-2, autre virus defrayant la chronique ces derniers temps, ne manqueront pas de relancer de nouvelles études qui pourront probablement faire la lumière sur ces questions.

Source

Longitudinal analysis reveals high prevalence of Epstein-Barr virus associated with multiple sclerosis. Bjornevik et al., Science 375, 296–301 (2022) 21 January 2022. PMID: 35025605. DOI

La sclérose en plaques en résumé

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